lundi 11 février 2008

Chronique historique no.1

Le Pain : révolution et sexualité


On ne mange pas de ce pain là, il ne faut pas manger son pain noir avant son pain blanc ou promettre plus de beurre que de pain, mais on aime bien tremper son bout de pain dans la soupe...


Le pain est un aliment universelle, la base de l’alimentation humaine. C’est en Égypte ancienne que seraient nées les premières boulangeries artisanales il y a presque 5000 ans. On raconte que le levain aurait été découvert par hasard en mélangeant la farine avec de l’eau du nil. Le pain était si précieux qu’il était offert en offrandes aux dieux et servait de provision pour le grand voyage au pays des morts. Il était aussi utilisé comme une monnaie d’échange, les ouvriers étaient payés trois pains par jour, on peut dire qu’ils gagnaient leur pains à la sueur de leur front. Ce sont les Romains qui ont importé l’art de la boulangerie dans les territoires gaulois qu’ils ont colonisés en 50 av. J-C.


Le pain frais a toujours évoqué la peau douce et tendre du nouveau-né. On croirait déguster un enfant vivant. Il sent tellement bon quand il est encore chaud, il est beau à croquer, agréable à toucher. Accompagné de crème du pays et de sirop d’érable, le bon pain d’habitant est toujours sur la table, au Paradis des Anciens Canadiens. Faut pas s’étonner que les chrétiens en aient fait l’incarnation symbolique du corps du Christ.


Le pain qui lève sous l’action de la fermentation a longtemps été associé au gonflement du ventre d’une femme enceinte. L’enfournement, la cuisson, le défournement évoquent la copulation, la grossesse et l’acouchement. Autrefois, afin de bien faire lever le pain, les Italiennes se tenaient devant leur four et imitaient par des grimaces et des grincements de dents le travail d’une mère en train d’accoucher. La coutume moyen-ageuse qui consistait à faire asseoir une vieille fille sur le four pour la rendre plus attirante et « la réchauffer » s’est perpétué jusqu’au XIXe siècle.


Ici au Québec, on surnommait les sages-femme les pelles à feu et on disait que le pain criait quand on le sortait du four comme un enfant qui nait. Quand un homme demandait à sa femme si elle avait envie de faire l’amour, il lui disait : « c’est t’y à soir qu’on chauffe le four ». Si sa femme lui répondait sans équivoque : « il n’y a plus de bois fendu. » le pauvre mari devait prendre son mal en patience. Quand les amants étaient satisfaits, il disaient avoir réussi une bonne cuite. Dans la chanson populaire, on compare souvent la femme à un four chaud prêt à cuire le pain. De là, viens peut-être l’expression « fourrer »?


En France le rapport entre le pain et la sexualité a pris une importance sans précédent. Pour les français, le four du boulanger représentait une sorte de matrice nationale et la baguette un pénis. Seul les meilleurs d’entre eux étaient autorisés à accomplir l’union charnelle. La profession étaient réservée qu’aux plus fervents catholiques et dans les villages, les prêtres consacraient chaque semaine une journée entière à la confession du boulanger, de peur de voir ses péchés contaminer la population. On a dit souvent que les boulangers français incarnaient, juste après l’église, la première autorité morale du pays.


Il faut comprendre que sous le régime féodal, le grain et le pain n’appartient pas à celui qui le cultive, mais au Seigneur qui possède moulin et four « banal », accessible aux paysans contre le paiement d’une redevance. Bien que les techniques ne cessent de s’améliorer, c’est le gouffre entre le pain des riches et le pain des pauvres qui ne cesse de se creuser. Riche et léger, lisse comme les fesses d’un nourisson, le pain mollet, le pain blanc dit « de fine fleur » avait toujours été réservé aux riches et puissants, et les gens ordinaires devaient se contenter de pain noir, immangeable, un mélange grossier d’orge, de seigle, et de froment, tellement dur qu’il fallait le trancher à la hache.


Mais là, vers la fin du XVIe siècle, les boulangers de Paris s’étaient mis à produire à l’intention de la populace un pain mollet, surnommé « le pain à la reine ». Les autorités ont commencé à s’en inquiéter et les commissaires de police comparaient déjà les boulangeries à des maisons de débauche. Il fallait protéger les gens du peuple des dangers de la sensualité et des ravages du raffinement. Et surtout protéger l’ordre social, car l’histoire du pain mollet a bien failli provoquer une guerre civile...


Sources :

Jardins et cuisines du diable, le plaisir des nourritures sacrilèges,
Stewart Lee Allen, éditions Autrement, 2004

Histoire naturelle et morale de la nourriture,
Maguelonne Toussaint-Samat, éditions Larousse-Bordas, 1997

Le pain d’habitant, traditions du geste et de la parole,
Jean-Claude Dupont, éditions Leméac, 1974

http://www.wetterenoise.be/




3 commentaires:

Anonyme a dit...

excellente ta chronique. j'ignorais tout ça, le rapport entre la boulangerie et la sexualité. maintenant, ça me paraît évident. et puis, ne dit-on pas d'une boulangère aux formes généreuses qu'elle a de belles miches ?
...si en plus elle est "chaude", j'imagine mal quels scrupules seraient assez puissants pour empêcher le client de passage d'y croquer à bouche-que-veux-tu. sauf peut-être la peur de recevoir une tarte, une paire de beignes, ou de se faire rouler dans la farine. et si l'on se fait surprendre, il n'y a plus qu'à espérer que le boulanger soit une bonne pâte...
arrivederci bella !
alice

crevette a dit...
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
crevette a dit...

c'est une tés bonne chronique, je ne m'était jamais pencher sur le sujet, mais c trop bon! Même si vous, au Québec vous ne parler pas la même langue que nous , enfin presque!